La télévision publique en mutation

La télévision publique en mutation

Pendant sa conférence de presse du 8 janvier, le président de la république, Nicolas Sarkozy, a stupéfait l'assemblée en annonçant la disparition de la publicité des grilles de la télévision publique. Dans la mesure où la publicité représente environ 1 milliard d'euros du budget total de ces chaînes, il se posa assez logiquement la question des sources de financement destinées à se substituer à la manne publicitaire. Si une taxe sur la publicité des chaînes privées et les revenus des opérateurs de télécommunication a rapidement été évoquée, elle s'est promptement avérée insuffisante pour compenser le milliard d'euros ainsi perdu. Une semaine plus tard, le quotidien Les Echos indiquait que le gouvernement envisageait une nouvelle taxe sur tous les produits modernes pouvant recevoir la télévision : téléviseurs, ordinateurs et téléphones portables. Information confirmée par le ministère de la culture dans la foulée.

Dans la pratique, les contours exacts de ce projet restent inconnus. Le temps pour les ministères impliqués de recueillir les objections de chacun et nous devrions connaître dans les semaines qui viennent l'impact qu'aura une télévision publique vierge de pub sur nos porte-monnaies. La suppression effective de la publicité étant prévue pour début 2009, de mon point de vue il est acquis qu'il y aura une taxe. L'interrogation porte plutôt sur le sujet de la taxe. En choisissant de taxer à la fois les chaînes privées, les opérateurs de télécommunication et les consommateurs de télé, le gouvernement semble privilégier la voie du milieu. Néanmoins je me dis qu'il ne serait pas superflu de s'assurer que cette taxe ne se transforme pas en double peine pour les consommateurs. En effet il n'est pas saugrenu d'imaginer que les fournisseurs d'accès à Internet réinjectent cette taxe dans le prix des abonnements où dans leurs tarifs au détail. Ces augmentations s'ajouteraient alors à la taxe déjà prélevée sur les produits technologiques susmentionnés. D'où la double peine. C'est l'objet de ce billet : qu'est-ce que la télévision publique et comment la financer plus justement ?

TNTIl ne vous aura pas échappé que la montée en puissance des canaux numériques (e.g. la télévision numérique terrestre, les chaînes du câble et du satellite) affaibli les grandes chaînes généralistes et plus particulièrement les chaînes publiques. De fait, cette redistribution des audiences contribue à dissuader les chaînes généralistes d'investir dans le domaine de la cohésion sociale au profit de programmes plus accrocheurs ou plus rémunérateurs. Je pense à la télé réalité, je pense à la multiplication des écrans de pub et je pense à la nième rediffusion des aventures de l'inspecteur Derrick. Toutes ces dérives qui contaminent la télévision publique vont à l'encontre de ce pourquoi elle a été créée. J'y reviens plus bas. Ensuite, jusqu'à il y a un peu moins de trois ans, le PAF (e.g. le paysage audiovisuel français) se résumait à six chaînes de télévision : TF1, France 2, France 3, Canal + en clair, France 5/Arte et M6. C'est à dire qu'avec une simple antenne râteau vous ne pouviez recevoir que les six chaînes précédemment citées. Depuis l'arrivée de la TNT, avec la même antenne râteau couplée à un décodeur numérique, vous avez dorénavant accès à dix-huit chaînes gratuites. La plus-value pour le consommateur est évidente : plus de chaînes entraîne plus de programmes et in fine, suggère plus d'opportunités que ses aspirations se concrétisent dans une émission. Pour les chaînes publiques, cet enrichissement de l'offre s'accompagne plutôt d'une moins-value, puisqu'elles ne représentent plus que le quart du panel audiovisuel, contre la moitié il y a trois ans. Ce sont ces mutations dans la télévision telle qu'elle est consommée qui imposent aux responsables de médias publiques de repenser la télévision telle qu'elle est produite : son rôle, son positionnement, son contenu. Et c'est ce qui conduit à se dire qu'il n'est peut-être pas justifié de subir l'acharnement publicitaire y compris sur des chaînes que vous financez via des impôts et des taxes.

Steuart Britt, un journaliste américain, disait que « Faire du commerce sans publicité, c'est comme faire de l'œil à une femme dans l'obscurité. Vous savez ce que vous faites, mais personne d'autre ne le sait. » A priori, je distingue plusieurs nuances de pubs et à fortiori je ne suis pas pour qu'on les supprime toutes. Je pense par exemple que les publicités pour la sécurité routière ou celles qui incitent à ne plus fumer dans les espaces publics sont de bonnes annonces qui méritent d'être diffusées sur les chaînes publiques. De plus, une fois produites, ces publicités d'utilité publique ont vocation à être diffusées. Si elles n'empruntent pas le canal public, elles seront diffusées à travers des canaux privés et ce sera plus cher en plus d'être contre-productif. Non, je pense qu'il faut conserver un minimum d'espace pub dans les chaînes publiques avec un droit de regard sur le contenu. L'idée étant de ne diffuser que celles qui représentent un intérêt d'ordre général. Groupe de mots qu'il reste à expliciter. Ensuite, après avoir expurgé la télévision publique de ces pubs les moins intéressantes, les responsables des médias publics pourraient s'attacher à réconcilier le service public avec ce qu'il devrait être. Dans mon esprit, en profitant du potentiel offert par les réseaux numériques, les chaînes de télévision publique doivent continuer à développer des programmations qui rencontrent le public le plus large. Elles doivent ainsi se donner pour objectif de contenir les processus de segmentation et d'isolement culturel des différentes composantes du public. Le secteur public de la télévision peut perdre sa légitimité de diffuseur s'il ne rassemble plus autour des mêmes programmes. Il a également un rôle capital dans la conservation d'une industrie de programmes de haut niveau et doit maintenir une capacité centrale d'éditeur de programmes.

Terminons par le financement de la télévision publique. Je ne suis pas adepte des prélèvements en général et des taxes sur les produits technologiques en particuliers, comme en témoignent plusieurs de mes billets. Néanmoins je suis conscient de la nécessité de compenser la perte des revenus issus de la pub. De plus, il ne me semble pas choquant d'envisager que la télévision publique soit financée en majorité par des fonds publics. C'est pourquoi je suis favorable à la nouvelle taxe sur les produits qui permettent de recevoir la télévision. Je sais que les français sont friands de technologie et je me dis que si les envies des consommateurs continuent sur cette voie, la télévision publique aura les moyens des ambitions dont je parle ci-dessus. En revanche je suis contre la redevance audiovisuelle sous sa forme actuelle. Je pense que cet impôt s'est installé dans une sorte d'aise qui lui fait oublier, aujourd'hui, les raisons de sa mise en œuvre. La redevance audiovisuelle est à l'origine une participation des téléspectateurs servant à financer les médias publics. C'est donc un ticket d'entrée dont toutes les personnes qui résident en France et disposent d'un téléviseur doivent s'acquitter. Restons dans l'analogie avec l'univers du spectacle. Si vous avez assisté, in vivo, à un match de foot, de basket ou à un concert (liste non exhaustive), vous savez que les meilleures places sont les plus onéreuses et cela se comprend. Je pense que la redevance audiovisuelle devrait suivre le même principe. Je trouve singulièrement incongru de verser la même somme pour un tube cathodique « noir et blanc » de dix ans comme pour un écran plat plasma fraîchement sorti d'usine. Ne serait-ce que parce que les possesseurs des téléviseurs susmentionnés n'assistent pas au même spectacle. Je considère que le montant de la redevance audiovisuelle devrait être indexé sur le confort que procure l'objet, de la même façon que le prix final d'une automobile varie en fonction de la nocivité dudit véhicule sur l'environnement. Enfin, je me dis que la redevance télé devrait être dégressive jusqu'à s'annuler, justement parce que la qualité de l'image affichée décroît avec le temps. A méditer.

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