To be or Note2be.com

To be or Note2be.com

A l'heure où le rapport Attali souligne, dans sa proposition de décisions n°5, que « l'évaluation des professeurs ne peut pas reposer uniquement sur les notes qu'obtiennent leurs meilleurs élèves ni sur l'examen d'inspecteur (...) mais (qu') elle doit aussi reposer sur une évaluation de leur pédagogie par leurs élèves » , note2be.com offre la possibilité à tous les élèves, pour la première fois en France, de noter leurs professeurs.

Extrait du site Note2be.com.

Si vous suivez régulièrement les informations télévisées, à la radio ou sur Internet, vous avez probablement eu vent des déboires du site Note2be.com. Rappel des faits pour les autres :

William Shakespeare Ainsi que le laisse supposer l'extrait en italique ci-dessus, Note2be.com est un site Internet consécutif à une proposition du rapport Attali. En effet, dans son rapport, la commission Attali proposait que l'évaluation des enseignants ne soit plus réservée aux seuls inspecteurs mais soit étendue aux élèves. Note2be.com a saisie la balle au bond et a mis à disposition des élèves un outil qui leur permet d'apprécier les qualités pédagogiques de leurs enseignants. Probablement à cause du buzz autour de cet outil, plusieurs syndicats d'enseignants sont montés au créneau pour obtenir sa fermeture, au premier rang desquels la SNES-FSU, le SGEN-CFDT, le SE-UNSA et le SNALC. En début de semaine, le TGI de Paris (e.g. le tribunal de grande instance de Paris) a statué et a ordonné la suppression sous 48 heures de toutes les données nominatives figurant sur ce site. Passées ces 48 heures, Note2be.com devra payer une astreinte de 1000 euros par jour par infraction constatée. La société Note2be est par ailleurs, invitée à payer à chacun des demandeurs une somme d'1 euro « à titre d'indemnisation provisionnelle ». Hier, la CNIL (e.g. la Commission nationale de l'informatique et des libertés) - l'autorité française compétente en matière de protection des données personnelles - a jugé l'initiative Note2be.com illégitime. En attendant la décision des juges suite à l'appel du co-fondateur du site, Stéphane Cola, il me semble opportun d'indiquer en quoi je suis solidaire de l'indignation des enseignants et des décisions prises par les autorités en charge du dossier.

Non à l'infantilisation des professeurs. « Les jeunes d'aujourd'hui, aiment le luxe, ils sont mal élevés, méprisent l'autorité, n'ont aucun respect pour leurs aînés et bavardent au lieu de travailler. », est une phrase que vous avez probablement déjà entendu sous un libellé différent mais avec le même sous entendu : les nouvelles générations se fichent de tout et ne respectent plus rien. Ce qui est amusant c'est que cette phrase est de Socrate (469-399 av. J.C.) ce qui prouve que le conflit de génération est un phénomène récurrent et n'est pas une conséquence des jeux vidéos ou que sais-je encore. Reste que, derrière ces plaintes, on devine une inquiétude, une désespérance de nombreux adultes qui pensent qu'une vie qui n'est pas guidée, balisée par quelques valeurs est vouée à l'errance et à ses malheurs. A raison, de mon point de vue. Généralement, un enfant accepte volontiers les règles de vie distillées par ses parents. Cela se vérifie en particulier si ces derniers se conforment eux-mêmes aux règles qu'ils prescrivent. C'est à l'adolescence que les choses se compliquent car l'adolescent est soumis à de nombreux discours souvent contradictoires. J'ai envie de dire, idem que ci-dessus, cet état a toujours existé, c'était déjà ainsi il y a deux siècles, par exemple. La nouveauté qu'a apportée l'époque actuelle, c'est la médiatisation de ces discours jadis parasites qui à force prennent plus de place que les valeurs que les familles souhaitent transmettre : « C'est normal de désobéir quand on a des parents ringards comme ceux qu'on a vus à la télé hier ». Entendu à la télé.

Le fait d'autoriser les élèves à noter leurs professeurs de manière aussi directe que ces derniers, revient à aplatir le système scolaire en mettant les élèves au même niveau que les enseignants, ce qui est une erreur pour deux raisons :

  • Pour moi le rôle d'un professeur est d'accompagner chacun de ses élèves. Il participe activement à la formation d'un être humain en le guidant, en lui donnant un reflet de son comportement social et en lui apportant les savoirs et les compétences qui lui permettront de comprendre le monde dans lequel il vit et de participer à sa transformation. De plus, il faut garder à l'esprit qu'un élève passe le tiers de sa journée face à un professeur. Cela fait mécaniquement des professeurs un rempart intéressant contre les messages parasites dont je parle ci-dessus. C'est pourquoi, devant l'étiolement du discours parental, je pense au contraire qu'il faudrait renforcer la place des enseignants.
  • L'école est traditionnellement conçue comme une structure pyramidale dans laquelle des enseignants ont pour tâche d'instruire et d'éduquer des élèves. Or l'éducation suppose une relation d'autorité entre ceux qui enseignent et ceux qui apprennent. Au demeurant, je peux comprendre le besoin d'un peu plus souplesse afin que les voix des élèves soient également entendues mais de mon point de vue cela doit s'inscrire dans un ensemble cohérent, structuré et consensuel. Le haro sur Note2be.com poussé par les syndicats d'enseignants prouve à suffisance le manque de concertation et de consensus de cette initiative.

La liberté des professeurs est-t-elle bornée par celle des élèves ? Je le disais tantôt, le rôle d'un professeur c'est parfois d'enseigner des règles de savoir vivre qui concourent à l'équilibre intellectuel et sentimental des élèves et qui permettront au futur citoyen adulte d'être à l'aise en société. Parmi ces valeurs, il y a le fait que vivre en société consiste à abandonner une partie de son indépendance naturelle pour se soumettre volontairement à des lois qui sont, au moins idéalement, les mêmes pour tous. Que vivre en communauté c'est accepter que sa liberté s'arrête là où commencent celles des autres. Du point de vue de l'élève, ce respect de la liberté d'autrui s'impose d'abord pour des raisons éthiques : non seulement « le principe de liberté » n'est pas que l'énoncé du dernier devoir de philosophie, mais il est également l'objet d'un apprentissage tout au long de la vie qui suppose que le futur citoyen adulte soit à la fois nourri de liberté et ait déjà mesuré ses contours. A cette raison éthique s'ajoute une raison pragmatique : le respect de la liberté d'autrui est un outil efficace pour contribuer à créer un climat de confiance et de responsabilité à l'intérieur de l'établissement scolaire, permettant en cela de prévenir et de combattre la violence à l'école. Le message que tente de faire passer la CNIL aux créateurs du site mais, in fine, aux élèves est simple : il faut, au moins à posteriori, recueillir l'agrément de la personne pour utiliser une information qui l'identifie. Le fait que les élèves qui ont participé à ce site ne se soient pas interrogés sur la légitimité de ce qu'ils faisaient, avant de le faire, montre bien que ce rapport à l'autre et à sa liberté n'est pas correctement assimilé. Avis aux professeurs qui me lisent. Je suis persuadé que de nombreux élèves ayant contribué au site Note2be.com auraient refusé que leurs relevés de notes - bons comme mauvais, peu importe - soient exposés sur Internet avec en prime les appréciations des professeurs. Partant de ce postulat, je me demande comment ces derniers n'ont pas vu qu'il était plus que probable que cela incommoderait également leurs professeurs ? Excès de naïveté ou volonté d'irriter ? Avis aux élèves qui me lisent.

Noter les professeurs en interne et de manière indirecte. Suite au battage médiatique autour de l'affaire Note2be.com, j'ai eu l'occasion de discuter avec d'anciens collègues, aujourd'hui enseignants et des professeurs qui m'ont enseignés. Ce qu'il y a de frappant c'est qu'ils sont tous d'accord pour faire de l'école un environnement où les élèves peuvent jouer un rôle plus actif. Ce qu'il faut bien comprendre c'est que la note n'est pas le nœud du problème. D'ailleurs dans certaines grandes écoles et universités, les professeurs sont déjà évalués par leurs étudiants. Simplement, de la même façon que la note attribuée à un élève est le résultat d'un rituel connu à l'avance par les professeurs et les élèves, il est indispensable que cette notation des professeurs fasse elle aussi l'objet d'un cérémonial encadré et connu d'avance. Plusieurs idées me viennent à l'esprit mais je n'expliciterai qu'une : Aujourd'hui la notation des enseignants relève de l'inspection générale et/ou du responsable d'établissement. Ce n'est vraisemblablement pas assez pertinent vu l'enthousiasme autour de Note2be.com. Afin de coller à l'engouement pour le Web, on peut imaginer un Intranet dans lequel chaque étudiant, clairement identifié et à des moments bien précis de l'année, répondrait à un QCM (e.g. questionnaire à choix multiples). Je ne suis d'ailleurs pas opposé à ce que ce QCM soit régulièrement révisé et qu'il intègre à chaque mise à jour les remarques des uns et des autres, dont celles des élèves. Ni à ce que le professeur X ne sache pas ce qu'a dit l'élève Y à son sujet. Histoire de dépassionner les débats en classe. Passons. Idéalement ce QCM ciblerait à la fois le fond mais aussi la forme des enseignements et permettrait de dégager non pas une note mais plusieurs appréciations : sur l'organisation et la clarté du cours, sur la stimulation intellectuelle, sur l'interaction ... Liste non exhaustive. Les informations ainsi collectées seraient intégrées via un coefficient dans la notation finale du professeur et permettrait à chaque professeur d'inventer comment rendre son cours plus attrayant. En somme, je suis favorable à tout projet qui vise à ce que les élèves ne se substituent pas aux professeurs mais soient plutôt des acteurs que l'accès à la connaissance doit éclairer et dont le corps professoral doit favoriser la prise d'initiative.

Plus généralement, il me semble que la relation enseignant-élève induit dans son essence une inégalité de statut, ce qui n'empêche nullement que l'élève reste légal de l'enseignant en matière de droits fondamentaux. Pour moi l'école doit former des individus libres, responsables mais respectueux des libertés d'autrui. C'est pourquoi l'idée que des élèves puissent évaluer leurs professeurs me semble opportune si elle ne résume pas qu'à un système permettant aux élèves de voter pour leurs professeurs favoris mais donne à chaque élève la possibilité de jouer un rôle actif dans son environnement scolaire. De plus, quelque soit la forme donnée à cet espace de participation dédiés aux élèves, je pense qu'il est important de garder à l'esprit que les enseignants ne sont ni des prestataires de service, ni des produits. C'est pourquoi il serait inconvenant de leurs appliquer la même mécanique d'évaluation que la dernière Playstation, par exemple.

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