L'affaire Bétharram, entre plaintes classées, commission d'enquête et recherche de vérité
L'affaire Bétharram, entre plaintes classées, commission d'enquête et recherche de vérité
L'affaire Bétharram a refait surface avec une acuité douloureuse ces derniers mois. Elle met en lumière la façon dont des victimes, majoritairement d'anciens élèves, ont lutté pour faire reconnaître des violences physiques, psychologiques et sexuelles subies dans le cadre de l'institution catholique Notre-Dame-de-Bétharram, et comment les structures scolaires, ecclésiastiques et judiciaires ont retardé ce chemin vers la vérité. Plusieurs procédures ont depuis été lancées, des commissions d'enquête instaurées, des plaintes déposées… mais le traumatisme semble avoir été longtemps ignoré.
Qu'est-ce que l'affaire Bétharram ?
L'affaire Bétharram concerne des violences physiques, psychologiques et sexuelles commises pendant plusieurs décennies dans l'institution catholique Notre-Dame-de-Bétharram, dans les Pyrénées-Atlantiques. Anciens élèves et victimes dénoncent aujourd'hui un système éducatif autoritaire qui aurait permis ces abus dans l'ombre.
Le scandale a éclaté publiquement grâce à des témoignages, notamment celui d'Alain ESQUERRE, et s'est traduit par des plaintes, des enquêtes judiciaires et la création de commissions d'enquête.
Un volet de cette affaire met en cause l'actuel Premier ministre : François BAYROU. Ce dernier aurait été informé des violences dans cet établissement où travaillait sa femme et étaient scolarisés ses enfants. Pour autant, il n'aurait pas agi afin d'y mettre un terme alors qu'il en avait les moyens.
Par ailleurs, d'autres dossiers ont été portés à la connaissance des institutions judiciaires, notamment une enquête à Limoges contre des prêtres décédés, suite à des plaintes datées des années 1960-70.
Des plaintes classées sans suite à Limoges
En 2025, une plainte visant des prêtres de la congrégation de Bétharram qui ont officié à l'école Ozanam de Limoges a été classée sans suite. Motif ? les prêtres mis en cause étaient décédés et l'action publique ne pouvait plus être exercée. Les plaignants avaient tenté d'invoquer la qualification de crime contre l'humanité, non prescriptible, pour contourner l'obstacle juridique. Mais les juges ont rappelé que cette incrimination ne pouvait pas s'appliquer rétroactivement à des faits anciens. Conséquence, de nombreuses victimes se retrouvent sans possibilité de procès pénal, faute de mis en cause encore vivant ou en raison de la prescription.
La prescription, un verrou judiciaire pour les victimes
Beaucoup de faits dénoncés remontent aux années 1950-1980. En droit français, les délais de prescription des crimes et délits sexuels sur mineurs ont évolué, mais à l'époque, les délais étaient plus courts. Résultat : des dossiers tombent aujourd'hui sous le coup de la prescription, malgré la gravité des accusations.
Cela nourrit le sentiment d'une injustice structurelle : les victimes témoignent, mais la machine judiciaire ne peut y répondre.
La commission d'enquête indépendante Bétharram
Pour dépasser les blocages judiciaires, une commission indépendante a été créée en 2024, sous l'égide de l'IFJD (Institut francophone pour la justice et la démocratie). Son objectif était de recueillir les témoignages, analyser les archives, établir la vérité et proposer des mesures de réparation.
Mais depuis plusieurs victimes, dont Alain ESQUERRE, ont claqué la porte, dénonçant un manque de transparence et une perte de confiance dans la gouvernance de la commission.
La commission et le rapport parlementaire sur Bétharram et les violences éducatives
Concomitamment, l'Assemblée nationale a adopté une commission d'enquête parlementaire visant les violences dans les établissements scolaires. Les co-rapporteurs de cette commission sont Violette SPILLEBOUT (Ensemble pour la République) et Paul VANNIER (La France insoumise). Dans son rapport, rendu public en début de mois, la commission met l'accent sur :
- Une meilleure protection des élèves;
- Une obligation de signalement des violences;
- Un contrôle renforcé des établissements privés;
- Un soutien aux victimes et anciens élèves;
- Une réforme des inspections et de la culture du silence.
Ce rapport met également en cause François BAYROU pour un défaut d'action. En effet, selon le rapport il avait été informé de possibles violences lorsqu'il était ministre de l'Éducation ou Président du conseil général des Pyrénées-Atlantiques mais il n'aurait pas agi efficacement.
Enfin, le rapport pointe des défaillances de l'État, notamment dans le contrôle des établissements privés, dans la gestion des signalements, et dans l'accompagnement des victimes. Le rapport critique aussi le modèle éducatif parfois autoritaire et interné, et dénonce le « silence institutionnel » au sein de l'enseignement catholique.
Selon moi, l'affaire Bétharram est moins un cas isolé qu'un symptôme. Elle révèle les tensions entre le droit (et ses limites temporelles), les institutions (écoles, Église, État), et la quête de vérité des victimes. Elle met en lumière à quel point l'éducation, l'autorité, la mémoire et la justice sont imbriquées dans la société.
Elle oblige aussi à questionner la nature du modèle éducatif dit d'excellence ou de discipline dans les établissements ainsi que la responsabilité collective d'en surveiller les abus, même anciens. Plus qu'une affaire judiciaire, c'est une affaire de conscience collective.